C.-A. Sainte-Beuve, Critique littéraire


Juan Álvarez Cebrián - Old books.

Charles-Augustin Sainte-Beuve

(1804, à Boulogne-sur-Mer - 1869, à Paris) - Critique littéraire.

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Quelques éléments biographiques  ↑

David d'Angers (1788-1856) - Charles-Augustin Sainte-Beuve - Médaillon - 1828 - Louvre.
Lettrine C

hoisissant, après la médecine, la littérature comme une réponse possible à un mal être social (mort de son père avant même sa naissance, prime jeunesse « noyée dans la tristesse », jeunesse très studieuse, mais pauvre), il est très vite intéressé par l'espoir ou la certitude des IdéologuesRobert Damien, dans la revue Medium (n°11, 2007,) citant les noms de Daunou, Destutt de Tracy... souligne que « cette école révolutionnaire », héritière de Condorcet, Lavoisier ou Sieyès « exalte sur trois générations, de 1789 à 1830 (...), un culte euphorique de la raison assimilant toute croyance à une crédulité et toute foi à une illusion. », en ajoutant que « philosophiquement, il n’en reste rien ; politiquement, beaucoup, car ils ont constitué l’épine dorsale des institutions publiques de l’État.", d'arriver à la vérité et au bonheur par la raison, avant d'intégrer, vers 1827, le « cénacle Hugolien », et de « changer de philosophie », dit Paul BénichouDans L'école du désenchantement, Éditions Gallimard, 1992., « cette sorte de spiritualisme qui était l'âme de la poétique nouvelle », et il se lance en poésie. Or il voit sa sincérité littéraire rejetée par le public, ses recueils de poèmes, Joseph Delorme« Le héros lui-même est une espèce d’anti-Hugo : mélancolique, éconduit dans ses amours, mal à l’aise en société, de santé précaire, solitaire, sortant peu, aspirant à la mort. », Michel brix, Charles-Augustin Sainte-Beuve, Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme, Studi Francesi [En ligne], 148 (XLX | I) | 2006, mis en ligne le 30 novembre 2015, consulté le 03 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/studifrancesi/30557 ; DOI : https://doi.org/10.4000/studifrancesi.30557., en 1829, Consolations, en 1830, et son unique roman, Volupté (autoportrait en « débauché triste », dit Nicole CasanovaNicole Casanova, Sainte-Beuve, Mercure de France, 1995., l'une de ses biographes,) ne connaissant qu'un demi-succès, et jugés trop prosaïques, trop humbles, traversés par trop de culpabilité. C'est que, contrairement aux autres écrivains romantiques (Lamartine, Hugo, Vigny), qui ne se confondront pas « avec les ChattertonsThomas Chatterton, poète anglais, qui se suicida à l'âge de 18 ans, en 1770. Il inventa notamment l'œuvre poétique d'un personnage du XVème siècle, à peu près au même moment que James Macpherson inventera les écrits d'Ossian (entre 1761 et 1763), qui auront beaucoup de retentissement sur le romantisme. français contemporains dont ils se font les défenseurs », poursuit Paul Bénichou, il est lui-même le poète en détresse qu'il met en scène dans ses écrits : « il est en-dessous de son propre rêve et en gémit. ». C'est ainsi que, « en réduisant [son] ambition », celle aussi des poètes et de leur rôle de guide spirituel dans la société, et déjà, donc, en grande partie, revenu du romantisme, à partir des années 1835-1837, il renonce à la poésie, pour se consacrer tout entier à la critique littéraire.

Et il commence précisément sa carrière de critique, quelques années auparavant, comme avocat des jeunes écrivains romantiques (dans Tableau historique de la poésie et du théâtre au XVIème siècle (paru en 1828, c'est l'un des quelques textes fondateurs du mouvement romantiqueAvec la préface de Cromwell, de Victor Hugo (1827), et la préface des Etudes françaises et étrangères, d'Émile Deschamps (1828). des années 1830) : texte engagé où Sainte-Beuve exprime ses préférences, établit un rapport entre l'épanouissement littéraire, singulièrement poétique, au XVIème siècle et son époque contemporaine, où s'annonce également un renouveau, une poétique nouvelle, et surtout il déplace les origines de notre littérature du XVIIème au XVIème siècle. Et c'est encore comme avocat de la jeune école romantique qu'il s'exprime, dans des articles au Globe, à partir de 1826, à la Revue de Paris, à partir de 1829, ou, à partir de 1831, à la, encore toute nouvelle, Revue des Deux MondesFondée en 1829, cette revue, qui, donc, existe encore aujourd'hui, est marquée, à cette époque, par la personnalité de M. Buloz qui dirigea la revue pendant quarante ans à partir de 1831.. Il éprouvera immédiatement une passion pour Victor Hugo, louera rapidement George Sand, sera complice avec Musset, entre autres exemples.

Inaugurant avec ses Portraits (parus d'abord dans des revues, il seront, dès 1832, réunis en volumes) une sorte de sous-genre littéraire, il prétend « chercher l'homme dans l'écrivain », des textes « mi-critiques mi-poétiques », dit Roger FayolleRoger FAYOLLE, « SAINTE-BEUVE CHARLES AUGUSTIN - (1804-1869) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 06 octobre 2017. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/charles-augustin-sainte-beuve/, une critique non sereine en tout cas, au moins en ce qui concerne les portraits d'auteurs contemporains, « impressionniste », c'est-à-dire éventuellement traversée par ses humeurs comme par ses jalousies, etc., mais une critique reposant cependant sur une érudition, une recherche du vrai, un réel travail, le tout dans une langue délicate et vive et qui charma beaucoup. C'est ainsi que, dès le début des années 1830, il était suffisamment connu et reconnu, jusque dans les provinces, pour qu'un article de lui garantisse le succès d'un livre, ou la réputation de sérieux d'un journal.

Louis Boulanger - Madame Victor Hugo (Adèle Foucher) - 1839, Maison de Victor Hugo, Paris.
Adèle Hugo

Sainte-Beuve travaille, travaille sans relâche, mais côtoie aussi beaucoup le monde, et tout d'abord, dans les années 1827-30, la maison de Victor Hugo, le « cénacle », (où il croit même trouver un foyer, jusqu'à la fâcherie entre eux, aux débuts des années 1830, et qui durera jusqu'à la fin de leur vie), la maison de l'illustrateur Achille Devéria, le salon de Charles Nodier à l'Arsenal, celui de Mme Récamier (à partir de 1834), de Marie d'Agoult, celui de la Princesse Mathilde (à partir des années 1850), le restaurant Magny (dans les années 1860)... et là, en plus d'observer le monde, il lui arrive de s'enticher de telle ou telle jeune femme, d'envisager de temps en temps le mariage, lui qui avait pris des « habitudes libertines », nous dit Nicole Casanova. Il eut bien, lui aussi, poursuit-elle, sa grande histoire d'amour, mais de tous les couples célèbres de cette époque (George Sand et Musset, Victor Hugo et Juliette Drouet...), l'histoire d'amour que vécut pendant quelques années Sainte-Beuve avec Adèle HugoAdèle Foucher (Hugo) (1803, à Paris - 1868, à Bruxelles), dans les années 1830, fut la seule « que le monde se permit de juger et dont la passion n'attendrit personne. » Il vécut, là, sans doute, pourtant, de manière clandestine, quelques moments de bonheur (l'occasion sans doute aussi de s'apprécier lui-même,) qui n'ont pas dû souvent se renouveler pour lui.

Lorsque, dans les années 1850, il aura complètement tourné le dos au romantismeCe qui ne l'empêchera pas de se souvenir de son enthousiasme au moment de sa lecture des Méditations de Lamartine, en 1819, le sentiment d'entrer dans un monde nouveau, comme en témoigne une lettre qu'il écrit à Paul Verlaine le 15 novembre 1865 : « D'un jour à l'autre, on avait changé de climat et de lumière, on avait changé d'Olympe : c'était une révélation. », il écrit, chaque lundi (dans Le Constitutionnel, à partir de 1849, puis dans Le Moniteur (journal officiel de l'État), à partir de 1852, puis, à partir de 1861, de nouveau dans Le Constitutionnel), ce qu'il appelle désormais des Causeries : l'écriture a changé quelque peu (moins d'images, moins de métaphores), et il plaide désormais pour la mesure, la tradition, le retour à un nouveau classicisme, la méthode elle-même se rapprochant de la science, avec un souci d'objectivité davantage marqué.

En même temps, doublant sa carrière de critique, il poursuivra son imposant travail sur Port-Royal, et le jansénismeCourant religieux qui s'est développé au XVIIème siècle à partir du livre de Jansénius, Augustinus, 1640, reprise des idées de Saint-Augustin sur la grâce, nécessaire au salut de l’âme, mais accordée ou refusée par avance, sans que la vie du croyant puissent changer quoi que ce soit. Doctrine très rigoriste qui s'inscrit dans le sillage de l’aspiration au renouveau religieux qui traverse l’Europe depuis le XV siècle. Mouvement qui trouva, avec Pascal, puis Racine, ses expressions littéraires. Et la querelle que ce courant va soulever, jusqu'à sa dispersion en 1711, sera plus politique que théologique, persécuté qu'il sera par Richelieu, Mazarin, et Louis XIV qui y verra un républicanisme s'opposant à l'absolutisme royal. (cours à Lausanne en 1837-38 et une édition qui ne se terminera qu'en 1858), travail de naturaliste, travail relevant des sciences morales en quelque sorte, où, à travers des portraits il retrace l'histoire intellectuelle et spirituelle du 17ème siècle. Quant à son propre rapport à la religion, question complexe très certainement, il semble, à de certains moments, s'être rapproché (par ses intérêts successifs pour, le romantisme, le saint-simonisme, LamennaisFélicité de Lamennais (1782-1854) Polémiste catholique, devenu célèbre avec son Essai sur l'indifférence en matière de religion (1817-1823), il va progressivement développer ses idées pour une « démocratie chrétienne » rêvant d'unir le message évangélique et le progrès social, critiquant la hiérarchie catholique en même temps que la Monarchie de Juillet, parvenant à intéresser les républicains et les premiers socialistes pour sa lutte contre le despotisme. Notons que la plupart des écrivains romantiques des années 1820-1830 (Hugo, Michelet, Quinet, George Sand...) auront un véritable engouement pour sa personnalité., le jansénisme évidemment), puis s'être vivement intéressé, avoir observé, avoir beaucoup estimé sans doute parfois, avoir partagé dans des textes, mais dans sa propre vie, en sceptique, s'être détaché de la religion, de plus en plus au fil du temps.

Sévère à l'égard de certains écrivains de son temps (il va longtemps méconnaître Balzac, comme il n'appréciera pas Stendhal, par exemple), il se plaindra beaucoup lui-même, dans sa correspondance, d'être calomnié (il est vrai qu'il provoquera de vigoureuses réactions à son encontre, pour sa jalousie, pour son ambition, mais aussi, par exemple, lorsqu'il dénonce, en 1839, la « littérature industrielle », notamment et surtout la connivence entre journalistes et écrivains, la complaisance critique, la construction de gloires factices, et la dévalorisation de la critique littéraire qui en découle, Sainte-Beuve dénonçant là d'ailleurs, à son tour, après H. de Latouche, une autre sorte de « camaraderie littéraire ») tout en étant cependant dans le même temps couvert d'honneurs : nommé à la Mazarine en 1840, il est élu académicien en 1844, donne des cours à l'université de Liège en 1848, il est décoré officier de la Légion d'honneur en 1853, nommé au Collège de France en 1855, puis à l’École Normale, devient sénateur en 1865.

Lui qui ne s'était jamais vraiment mêlé de politique, républicain, certes, détestant, au moins au début, le pouvoir de la monarchie de Juillet, c'est vrai, il va réagir pourtant, mais en débutant, et assez longtemps après, au coup d'Etat de Louis-Napoléon BonaparteAprès la dissolution de l'Assemblée, l'arrestation des députés républicains et libéraux, un état de siège, il y eut, dans les provinces (on se souleva peu à Paris) de très nombreuses manifestations pacifiques pour défendre la République, et des milliers d'arrestations et de personnes condamnées à la déportation, un plébiscite (portant sur des changements dans la Constitution, plébiscite remporté) sous haute surveillance policière, des mesures d'expulsions du pays pour soixante-dix députés (dont Victor Hugo), puis la presse muselée, les militants surveillés, l'université mise sous pression directe du pouvoir, puis un second plébiscite (là encore remporté) en novembre 1852 demandant le rétablissement de l'Empire, ce qui est fait le 2 décembre 1852. du 2 décembre 1851. Il publie, dans Le Constitutionnel, un article en août 1852, Les Regrets, article dans lequel il ne voit dans les opposants au pouvoir de Louis-Napoléon que des hommes dépités, amers de n'être pas ou plus aux commandes, visant là d'abord Victor Hugo, demandant d'accepter le résultat des élections, en faisant tout à fait l'impasse sur la vague anti-démocratique qu'avait subi le pays au moment de ce coup d'Etat. Déterminé qu'il aura été par sa couardise, peut-être, on l'a dit de lui, ou plus exactement, « homme de cabinet », comme on dit, déterminé par la recherche de sa tranquillité, pour assurer la sérénité de son travail. Mais en tout cas de cause, hué pour ce soutien au pouvoir, lors de son premier cours au Collège de France, en 1855, il l'abandonnera vite, mais, bien qu'après pas mal de temps (il est tout de même resté presque 10 ans, de 1852 à 1861 au Moniteur, journal de l'Empire), il reviendra à ce qui le constitue intrinsèquement, la liberté, l'indépendance, et, lorsque devenu sénateur en 1865, ayant décidément pris ses distances avec le pouvoir, il soutiendra notamment la liberté d'opinion ainsi que la laïcité de l'enseignement, devenant, sur la fin de sa vie, un personnage important, « phare », dit Nicole Casanova, pour la jeunesse de l'époque.

Sainte-Beuve travaille jusqu'à son dernier jour, son succès ne cesse de grandir, on réédite ses ouvrages, et il sera, enfin, celui qui reconnait la nouvelle génération d'écrivains, nés dans les années 1820, écrivains qui respectent beaucoup son travail et même écrivent en partie pour lui, tels Baudelaire ou Flaubert.

Travailleur infatigable, homme libre et indépendant, marqué par le mouvement rationaliste de la fin du 18ème siècle, en même temps qu'intéressé par la question religieuse, n'ayant jamais vraiment appartenu à aucun mouvement de penséePaul Bénichou, dans L'école du désenchantement, souligne qu'« Il se flatte d'être passé ici, puis là, d'avoir traversé ou plutôt côtoyé telle école, puis côtoyé telle autre; et, dit-il, "(...), je n'ai jamais aliéné ma volonté ni mon jugement (hormis un moment dans le monde de Hugo par l'effet d'un charme), je n'ai jamais engagé ma croyance (...)" », bien que durablement marqué par l'enthousiasme romantique des années 1820-1830, observateur à la recherche du vrai et du naturel, passionné avant tout par le spectacle de la vie dans les consciences individuelles, il fait de la critique littéraire un genre autonome de la littérature, dans des textes limpides, fluides« Il y a toujours chez M. de Sainte-Beuve quelque chose qui se transforme et qui s'esquive (...). Il n'est pas seulement ouvert aux impressions et aux faits, il se métamorphose et se modifie constamment. », écrit Philarète Chasles, dans un article de 1855., brillants, précis, corrosifs parfois, même s'il sait revenir sur ses propres erreurs de jugement, pariant sur l'esprit comme capable de libérer l'être humain. Apparaissant aujourd'hui comme un des écrivains importants de son temps, artisan d'une œuvre imposante (sans oublier son abondante correspondance, toute entière consacrée à la littérature, et recueillie par Jean Bonnerot), « biographe, historien, essayiste, moraliste, Sainte-Beuve, qui domina la critique de son siècleDeux journaux, essentiellement, se partageaient la critique littéraire, Le journal des débats (complètement hostile à la littérature contemporaine,) avec Nisard, Saint-Marc Girardin, entre autres, et la Revue des deux mondes (c'était beaucoup plus mêlés, acceptation ou rejet de la littérature contemporaine), avec Sainte-Beuve, bien sûr, mais aussi Jean-Jacques Ampère (qui multiplia les études d'histoire littéraire,) Philarète Chasles (véritable créateur de la littérature comparée), Xavier Marmier (spécialiste des littératures du Nord,) et Gustave Planche (qui restera hostile à la nouvelle littérature et qui eut son importance dans la critique du drame romantique.) Et puis, à part des journaux, Abel-François Villemain, critique non dogmatique, intéressé par la nouvelle littérature. D'autres encore, très certainement., a ouvert la voie à toutes les tendances de la critique du XXème siècle. », peut-on lire dans un précis de littératurePrécis de littérature française du XIXème siècle, sous la direction de Madeleine Ambrière, Presses universitaire de France, 1990..

Avec Marceline Valmore : une amitié qui ne se démentira pas  ↑

C'est par l'entremise de Mme TastuAmable Tastu (1798-1885), poète, écrivain.
Marceline Valmore fit sa connaissance en 1832, grâce à Jacques Arago.
, et à l'occasion, d'un article, publié dans la Revue des deux Mondes du 1er juillet 1833, sur Les Pleurs et Une Raillerie de l'Amour, que Marceline Valmore entrera en contact avec lui. (Résumé de cet article.)

Il entretiendra avec elle une amitié « qui ne se démentira pas », dit Francis AmbrièreDans Le Siècle des Valmore, Editions du Seuil, 1987.. Ils auront des contacts réguliers pendant une vingtaine d'années, jusqu'en 1853.

Un lien d'affection 

Elle se confie à lui, notamment dans sa correspondance, et lui parle de ce dont elle a très peu parlé, de son enfance, de son voyage à la Guadeloupe ou de ses débuts au théâtre... Elle se raconte, mais métamorphose sa vie en même temps, particulièrement son enfance, pour en faire une image dorée, presque mythique, transformant l'adversité et les fastidieuses difficultés d'alors, en un merveilleux paradis perdu : « le temps et l'imagination aidant, Marceline reconstituait son passé (...) aux couleurs de sa rêverie et non pas selon la vérité. », dit-il.

De son côté, Sainte-Beuve se préoccupera beaucoup d'elle : il lui obtient une indemnité littéraire, en 1838, par lui elle pourra publier, littérature alimentaire, des nouvelles adaptées de l'anglais dans La revue de Paris, il rassemble des poésies pour un recueil, paru en 1842, qui pourrait l'aider à vivre un peu mieux, etc... Par lui aussi le cercle des connaissances et des correspondants de Marceline Valmore s'élargit, puisqu'elle entre en contact avec certains de ses amis à lui, comme Caroline OlivierCaroline Olivier (1803, à Aigle (Suisse) - 1879, à Gryon (Suisse)), à qui l'on reconnait un talent certain pour l'écriture, résidant à Lausanne, puis à Paris à partir de 1845, ou François-Zénon CollombetFrançois-Zénon Collombet (1808, à Sièges - 1853, à Lyon), érudit, résidant à Lyon, écrivain du lyonnais et de la religion, ou encore Auguste LacaussadeAuguste Lacaussade (1815, à Saint-Denis de l'Île Bourbon (La Réunion) - 1897, à Paris), secrétaire de Sainte-Beuve dans les années 1840, et qui prendra notamment part, au côté de Victor Schœlcher, à la lutte contre l'abolition de l'esclavage.

Elle-même lui présentera de ses ami(e)s à elle, comme Adrienne SimonisAdrienne Simonis (1799-1871) : Amie de Marceline Valmore et de Théophile Bra, elle tiendra salon dans les années 1835-1837 rue du Helder, à Paris, où elle reçoit notamment des saint-simoniens. « J’ai vu Mme de Simonis, son amie si sincère, fort belle véritablement, impétueuse, orageuse, dévouée ; noble nature sortie des bruyères du pays de Liège, de la petite Suisse (comme on appelle ce pays) et que les formes aristocratiques et sociales n’ont en rien atteinte dans sa franchise génuine. » dira Sainte-Beuve dans une lettre à Caroline Olivier du 8 juin 1838., ou Théophile Bra, par exemple. Enfin, en 1838, alors que H. de Latouche est ostracisé, depuis déjà longtemps, par le monde littéraire parisien romantique, Marceline Valmore, toujours, ou de nouveau, sous son empire, vingt ans après leur aventure, aimerait arranger la situation et essaie de convaincre Sainte-Beuve de le rencontrer. Il le rencontre effectivement, chez les Valmore, vraisemblablement début 1839, et puis un peu tout au long de cette année-là, alors qu'il souhaite sortir une nouvelle éditionSainte-Beuve va renoncer à cette édition devant l'ampleur de la tâche, mais va tout de même publier un article dans La Revue des deux mondes du 1er février 1839 : « Quelques documents inédits sur André Chénier »., cette fois-ci complète, des œuvres d'André Chénier, dont H. de Latouche avait assuré la première édition en 1819.

Sainte-Beuve et Ondine Valmore 

Sainte-Beuve visitera en effet Marceline Valmore chez elle, à plusieurs reprises, il connaitra toute sa famille, s'intéressera à tout le monde, mais particulièrement à Ondine Valmore. Et il sera très proche d'elle dans le courant des années 1840, Ondine Valmore, qu'il voit, passionnée par l'étude, comme il l'est lui-même, et en laquelle il discerne de la sensibilité ainsi qu'une vive intelligence : il la sollicitera par exemple pour un choix de textes des poésies de Marceline Valmore (recueil publié en 1842), et lui donnera, à la pension Bascans, où elle est enseignante, dans le courant des années 1840, quelques cours de latin, parlera avec elle, par exemple de l'écrivain Jean-Paul ou de Pascal, etc... Il la courtise, un mariage, auquel Ondine Valmore n'a pas semblé hostile, a même été envisagé (peut-être plus par Marceline Valmore que par lui-même), lui qui recherchera toujours un foyer où s'attacher ; il s'en détourna, s'en rapprocha, eût peur d'aller trop loin, tomba amoureux ailleurs, revint, pour à la toute fin décevoir ou même mettre Ondine en colère par son scepticisme et son pessimisme, et ainsi c'est Ondine qui mit fin à ce projet de mariage, avant même que Sainte-Beuve ne s'en rende compte. Il apparaît qu'il restera longtemps hanté par son souvenir, Ondine Valmore dont il dira qu'elle était une « personne d'un rare mérite, d'une sensibilité exquise, jointe à une raison parfaite. »

Une indiscrétion de Sainte-Beuve 

Mais, s'insère ici, dans cette affection entre Marceline Valmore et Sainte-Beuve, un épisode qui donnerait raison à ceux qui disaient que Sainte-Beuve était tour à tour « vil et délicieux » (lui même soulignera cet aspect double, duplice même, en disant de lui qu'il avait eu à l'occasion « la louange perfide »). Car c'est probablement bien, sinon d'une vilenie du moins d'une indiscrétion, disons, à l'encontre de Marceline Valmore qu'il s'agit lorsqu'à la mort de Henri de Latouche, en 1851, il lui demande quelques mots à son propos, dans le but d'écrire un article nécrologique.

Ce fut, au tournant des années 1810-1820, entre Marceline Valmore et H. de Latouche, une histoire d'amour, brève, un peu plus d'un an, histoire sinon secrète, du moins restée discrète, et ils s'étaient séparés d'un commun accord, nous dit Francis Ambrière, alors que MDV quittait Paris pour s'installer à Lyon en avril 1821.

L'histoire d'amour n'eut pas de suite, mais H. de Latouche devint avec le temps un ami des Valmore, et même un familier de leur foyer, au moins à la fin des années 1830, et ce lien s'était maintenu jusqu'en 1839, date à laquelle Marceline Valmore, qui n'avait pas cessé de l'aimer, compris non seulement que lui n'éprouvait plus le moindre amour pour elle, ni même d'attachement, mais que ce qui le ramenait régulièrement chez elle, c'était, non pas elle-même, mais Hyacinthe, dite Ondine, sa fille, dont lui se pensait le père, et dont il aurait aimé veiller à développer l'intelligence et le talent : Marceline Valmore mit alors tout en œuvre pour l'éloigner d'Ondine, et le chasser de leur vie.

Sainte-Beuve avait été mis au courant de l'histoire d'amour, ce que Marceline Valmore ignorait, par son ami Guttinguer qui, lui-même, le tenait probablement de Pauline Duchambge, amie de Marceline Valmore, mais bavarde sans doute et médisante aussi (amies peut-être mais très différentes quand même, en somme). Et il était au courant de la rupture de 1839, ce que Marceline Valmore savait en revanche, puisqu'il avait été sollicité par H. de Latouche comme intercesseur pour arranger les choses. Les choses ne s'arrangèrent pas, la rupture était consommée. Marceline Valmore et H. de Latouche ne se revirent plus à partir de 1839.

Ainsi, d'une part Sainte-Beuve était complètement conscient de son indiscrétion, du fait qu'il allait faire resurgir chez Marceline Valmore des souvenirs douloureux, quand d'autre part elle, ne vit pas l'indiscrétion de Sainte-Beuve, d'autant plus que tous les griefs contre H. de Latouche s'étaient enfuis avec le temps, et c'est ainsi qu'elle développa une longue lettre pleine d'émotion et de bienveillance à l'égard de H. de Latouche qu'elle dépeint en homme d'esprit éminent, mais très mal servi par son propre talent, et emporté dans son propre malheur par la mélancolie. Quant à l'article de Sainte-Beuve, il ne fut guère bienveillant.

Hommages de Sainte-Beuve à Marceline Valmore 

Il ne verra plus les Valmore à partir de 1853, peu après la mort d'Ondine Valmore, dont il a le projet d'éditer les poèmes, ce que le mari d'Ondine, Jacques Langlais, qui se méfie beaucoup de Sainte-Beuve, va refuser.

Sainte-Beuve, cependant, s'occupera encore de Marceline Valmore, après sa mort à elle, non seulement en lui rendant hommage en août 1859, mais encore en la révélant à travers des extraits de sa correspondance. Ainsi, sera publié en 1870 (livre posthume) Madame Desbordes-Valmore, sa vie et sa correspondance, Chez Michel Lévy, livre dans lequel Sainte-Beuve trace le portrait de Marceline Valmore, des éléments de biographie, suivie de larges extraits de sa correspondance, son texte servant de guide.

Lettres de Marceline Desbordes-Valmore à Sainte Beuve  ↑

- On trouvera d'autre part ces mêmes lettres dans le livre de Charles de Spœlberch de Lovenjoul, Sainte-Beuve inconnu, Paris : Librairie Plon, 1901, de la page 187 à 244 (Lettres de MDV à Sainte-Beuve, extraites de la collection de Lovenjoul, aujourd'hui à la bibliothèque de l'Institut.)