H. Thabaud de Latouche, Eléments pour une vie


Pierre-Henri de Valenciennes - Campagne romaine - Entre 1786 et 1819 - Musée des Augustins, Toulouse.

Hyacinthe-Joseph-Alexandre Thabaud de Latouche

(dit Henri de Latouche)

(1785, à La Châtre - 1851, à Châtenay-Malabry) - Écrivain, journaliste.

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David d'Angers (1788-1856) - Hyacinthe de Latouche - 1831 - Plâtre - Vie Romantique.
Lettrine A

près des études de droit qui ne l'intéresseront pas beaucoup, H. de Latouche est engagé, avec l'appui de deux de ses oncles bien en cour, à la Régie des Droits réunisLa Régie des droits réunis, administration fiscale crée en 1804 (mais résurgence d'une pratique d'Ancien Régime, supprimée par la Révolution en 1791,) de la taxation indirecte des produits (boissons, voitures publiques, or, argent, navigation, octroi, sels, tabacs...) Cette régie est alors dirigée par Antoine Français, dit Français de Nantes., où ses nombreux loisirs, et son manque totale de zèle, lui permettent de se consacrer à la littérature dans laquelle il envisage de faire carrière.

Or, n'ayant pas reçu d'éducation à proprement parler « classique » (après quelques temps au collège de Pontlevoy, il en est retiré, ou il en est renvoyé, et c'est sa mère qui lui donnera l'essentiel de son instruction), il se cultive lui-même, dans le courant des années 1800, sans direction, en autodidacte, préférant « les livres oubliés à ceux dont on se souvient et leur demanda[nt] (...) moins de grandes et belles idées (...) que des idées fantasques et bizarres », dit Jules Lefèvre-DeumierLefèvre-Deumier, Célébrités d'autrefois, Essais biographiques et littéraires, Librairie d'Amyot, Éditeur, 1853 - pp. 107-176.

Jules Lefèvre-Deumier a travaillé pendant quelques années aux côtés de H. de Latouche, dans les années 1820, au Mercure du XIXème siècle. Des différends, concernant notamment la ligne éditoriale du journal, vont les diviser, et Lefèvre-Deumier va choisir de s'éloigner.

Dans son texte, il s'emploie particulièrement à contrecarrer l'image très négative véhiculée par l'article de Sainte-Beuve sur H. de Latouche, deux ans auparavant.
. Une éducation littéraire toute particulière, une érudition même qui fera là, déjà, son indépendance, sa particularité, de lui aussi un causeur habile et brillant, tout le monde lui reconnait ce talent, mais une instruction qui comportera des insuffisances : c'est ainsi que sa culture classique (des textes du 17ème siècle, les cultures grecque ou latine aussi) restera limitée et « il lui a fallu une rare valeur personnelle pour y suppléer par le sentiment », souligne Sainte-BeuveDans ses Causeries du lundi, paru le 17 mars 1851, dans Le Constitutionnel., aimablement, dans un article qui ne l'est pourtant pas beaucoup. Il se met également, assez rare chez les écrivains de cette époque, à l'étude des langues étrangères, suivant ainsi, en quelque sorte, la recommandation de Mme de StaëlGermaine de Staël (1766, à Paris, où elle décéde en 1817), lecture décisive pour lui, comme pour le mouvement romantique des années 1820, de s'intéresser aux cultures des pays qui nous entourent.

Jeune homme mobile de cœur et d'esprit, il épouse pourtant, mariage d'inclination, Anne ComberousseAnne-Françoise-Joséphine Comberousse (1785-1845), à vingt-deux ans, en 1807, un enfant naît, Léonce. Une courte pause, avant qu'en mars 1812, il obtienne de son administration un congé, un « avancement en Italie », dit-il, et qu'il abandonne femme et enfant. Il visite le midi de la France, la Suisse et l'Italie où une nouvelle administration, avec le département de Rome institué par Napoléon, se met en place, et à laquelle Latouche s'intègre, même si aucun document ne l'atteste, nous dit Francis AmbrièreFrancis Ambrière, Le Siècle des Valmore, Éditions du Seuil, 1987.. S'il cherche à faire venir sa famille, c'est peine perdue à cause des incertitudes politiques, le désastre de la campagne de Russie, par exemple. Pour tout dire, deux années (il revient en avril 1814), dont on ne sait pas grand-chose (des rencontres seulement, avec Juliette RécamierJuliette Récamier (1777, à Lyon - 1849, à Paris), à Rome, à Naples, avec Antonio CanovaAntonio Canova (1757, à Possagno - 1822, à Venise), à Rome, avec StendhalHenri Beyle (1783, à Grenoble - 1842, à Paris), peut-être, en Italie où il aurait fait sa connaissance,) mais deux années qui resteront cependant parmi les plus enthousiasmantes et marquantes de toute sa vie.

Si, selon toute vraisemblance, il se sépare rapidement de sa femme (son fils Léonce serait décédé vers l'âge de dix ans, soit vers 1818), le lien ne sera pourtant jamais complètement rompu : dans les années 1840, on sait qu'ils ont chacun leur appartement l'un au-dessous de l'autre à Paris, et on sait également qu'il souffrira infiniment de son décès, survenu en 1845. Un comportement, en tout cas, cette absence de rupture du lien, qu'il adoptera aussi, par la suite, avec Marceline Valmore : s'il a rapidement cessé d'en être amoureux, il s'est préocuppé d'elle pendant longtemps encore après leur aventure. Ses amis, Vigny, George Sand comme Lefèvre-Deumier, par exemple, témoigneront également qu'après l'avoir perdu de vue pendant des années, ils l'ont retrouvé avec la même connaissance de leur personnalités, de leurs routes aussi qu'il a suivi de loin, comme s'ils s'étaient séparés la veille. Une attention, une mémoire du sentiment, un attachement aux personnalités, une délicatesse, chez celui qui soulèvera pourtant tant de haines et de colères contre lui.

Après avoir passé la première partie de la Restauration auprès de sa mère, il est nommé, pendant les Cents-jours, secrétaire du maréchal Brune, puis, sous-préfet de Toulon, une nomination non suivie d'effet en tout cas, avec Waterloo et l'abdication de Napoléon. Alors, en homme à l'esprit vif et curieux, en homme surtout se voulant indépendant des pouvoirs, Hyacinthe de Latouche, lui qui avait une carrière toute tracée dans l'administration, nous dit Francis Ambrière, décide de rompre résolument avec la tradition familiale de hauts fonctionnaires versatilesPar exemple, l'un de ses grands-oncles maternels, Gilles-Charles Porcher de Lissaunay, a son entrée dans Le dictionnaires des girouettes, publié en 1815, chez Alexis Eymery, par Proisy d'Eppe. prêtant serment à toutes les autorités successives, cette rupture se traduisant chez lui par une très vive opiniâtreté, dont il ne se départira jamais, à défendre la république, d'une part, et d'autre part à vivre sa passion pour la littérature.

Il décide de tenter sa chance au théâtre et dans le journalisme. Il a trente ans.

Le journaliste  ↑

Si, en tant que journaliste, il est encore un peu connu aujourd’hui, c’est pour avoir, en 1817 et 1818, couvert, pour le libraire Pillet, la célèbre affaire FualdèsLe 20 mars 1817 est retrouvé, à Rodez, dans le fleuve Aveyron, égorgé, le corps d'Antoine-Bernardin Fualdès, ex-procureur impérial, au passé révolutionnaire, et franc-maçon. Les soupçons, appuyés sur la rumeur, se portent sur une maison de mauvaise réputation, la maison Bancal. Arrestations du couple et de plusieurs locataires de la maison. Sur les témoignages très incertains des enfants de la famille Bancal, qui décrivent une scène de crime, sont arrêtés le beau-frère de Fualdès, Bastide, et son agent de change, Jausion. Une femme, Clarisse Manson, âme exaltée, théâtrale, auditionnée comme témoin, dit que, cachée, elle a assisté au crime, puis se rétracte. Le procès de Rodez, en août 1817, des témoins par centaines, est cassé pour vice de forme. Le procès d'Albi, en 1818, condamne cinq personnes à la guillotine. Enquête bâclée ? Procès partial ? Mobile politique au crime ?... Les historiens, en tout cas, savent aujourd'hui qu'il s'agit d'une erreur judiciaire.. Médiatisée comme jamais histoire criminelle auparavant (on date de cette histoire le lien entre la presse et le judiciaire), on en parle dans toute la France (également en Europe), dans toutes les couches de la population, des centaines d'ouvrages ont paru sur cette affaire, mais ce sont surtout les articles de Henri de Latouche qui ont marqué les esprits, sans doute parce qu'il y inventait, en quelque sorte, le reportage judiciaire : tout en étant exact dans son récit, il montre l’intérêt des débats, et fait part de ce qui n’est pas dit, de ce qui tient de l’atmosphère ou des réactions, du ton, des attitudes.

Théodore Géricault - Les assassins portent le corps de Fualdès vers l'Aveyron - Vers 1817-1818 - Lille, Palais des Beaux-Arts.
Théodore GéricaultIl est intéressant de noter, un autre signe pour rendre compte de l'ampleur de cette histoire criminelle dans l'opinion, que Géricault avait l'intention, pour son grand tableau d'histoire, de choisir cette affaire, d'où les dessins préparatoires, comme on voit celui-ci. Mais ce fut, comme on le sait, l'histoire du radeau de la Méduse - Les assassins portent le corps de Fualdès vers l'Aveyron.

L'auteur, le romancier  ↑

Auteur de théâtre (de courts textes souvent, des moralités, des proverbes), de poèmes, de nouvelles, d'une supercherie littéraire qui déclenche le scandale (Olivier, en 1825, que Latouche publie comme étant une œuvre de Claire de DurasClaire de Duras (1777, à Brest - 1828, à Nice), et qui inspira à Stendhal, ami avec Latouche, son premier roman, Armance, en 1827, roman, selon une confidence de Stendhal à Mérimée, de l'impuissance masculine), auteur aussi de traductions (de Schiller, de Bürger, de Goethe, avec Le Roi des Aulnes) ou d’adaptations (d’Hoffmann par exemple), romancier (Correspondance inédite entre Clément XIV et Carlo Bertinazzi, en 1827, Fragoletta, en 1829, entre autres titres), critique d’art.

Un homme de l'ombre du romantisme  ↑

On le cite et le connait encore aussi aujourd'hui comme éditeur des œuvres d’André ChénierAndré Chénier (1762, à Constantinople, mort guillotiné à Paris en 1794.), en 1819, un ouvrage (non publié de son vivant, c'est la première édition de ses textes, vingt-cinq ans après sa mort, assemblant des poèmes extraits des Bucoliques, des Idylles et des Élégies, des poèmes que H. de Latouche a repris, ici et là, très peu) qui exercera immédiatement une très grande influenceThéophile Gautier, dans Les progrès de la poésie depuis 1830, paru chez Charpentier en 1874, dira : « On peut dater d'André Chénier la poésie moderne. (...) Il y avait si longtemps que les Muses tenaient à leurs mains des bouquets artificiels plus secs et plus inodores que les plantes des herbiers (...). L'alexandrin apprit de l'hexamètre grecs la césure mobile, les variétés de coupes, les suspensions, les rejets (...). Ce retour à l'antiquité, éternellement jeune, fit éclore un nouveau printemps. (...) A l'apparition d'André Chénier, toute la fausse poésie se décolora, se fana et tomba en poussière (...) et les yeux se tournèrent vers l'aurore qui se levait. » sur la jeunesse de ce temps. Non d'ailleurs qu'André Chénier fut lui-même déjà un « romantique », au contraire, mais sa poésie dépoussiérait une poésie, celle du XVIIIème siècle, descriptive et didactique, sans vie, sans souffle, sans poésie pour tout dire. C'est cette attitude, cette impertinence en quelque sorte, être poète dans un siècle sans poésie, plus que son écriture elle-même, à laquelle les poètes du XIXème siècle empruntèrent peu, qui séduisit et inspira la jeunesse artistique des années 1820-30.

C'est ainsi que Henri de Latouche sera, homme de l’ombre, amoureux du talent d’autres et leur révélateur. De très grands écrivains lui devront leur carrière, leur développement. Portant Vigny aux nues, il aida aux débuts de Balzac, guida George Sand, vanta le jeune Thiers, publia Auguste Barbier, rendit hommage à Stendhal, défendit Musset et Gauthier dans leur qualité de poètes, il goûta les poésies, aida, et encouragea Marceline Desbordes-Valmore.

Révélateur, il l’est aussi de légendes qui vont nourrir le romantisme, car c’est lui qui, dans les premiers, introduisit en France, dès la fin des années 1810, les motifs notamment fantastiques qui serviront si souvent au mouvement romantique, ou l’atmosphère moyenâgeuse, les monastères gothiques, les âmes en peine, le macabre, etc., avec ses nouvelles compilant les légendes écossaises ou allemandes, dans des lectures qui fit les bons moments de la société choisie qui se réunissait chez Sophie Gay, ou à l'Arsenal de Nodier par la suite. Il ne publia tous ses essais poétiques qu'en 1833, la littérature avait évolué, et on ne lui sut aucun gré d'avoir été l'un des initiateurs, avec Charles Nodier très certainement, du mouvement romantique.

Le républicain  ↑

Entre royalistes, romantiques en littérature, et libérauxIl serait très exagéré d'accoler automatiquement libéral à classique et monarchiste à romantique, comme on le suggère souvent, par commodité didactique, j'imagine. Il va sans dire que les opinions des uns et des autres étaient probablement beaucoup plus mêlées, comme le montre d'ailleurs la démarche de Latouche lui-même., classiques esthétiquement, H. de Latouche se présente comme le « romantique républicain », dit-il, celui qui a mis en accord ses idées de libertés républicaines et ses volontés esthétiques de remise en cause des règles classiques, et qui en cela s’est révélé beaucoup plus rapide qu’un Victor Hugo, par exemple, à développer et soutenir des idées démocratiques et humanistes.

Dès 1815, H. de Latouche se jette dans l’opposition la plus claire. Alors débutant journaliste, avec un respect de façade, il développe, dans Le Constitutionnel notamment, ses idées d’opposition à l’égard du principe d’autorité monarchique, comme à l’esprit de vengeance inhérent aux Bourbons à cette époque, avec l’espoir d’un monde ayant rejeté l’oppression, en Europe comme dans les colonies.

De même en 1830, alors que, dans un premier temps, il s’était rallié, comme beaucoup, à ce qu’il croyait être « la meilleure des Républiques », il passa rapidement, notamment par le biais des colonnes du Figaro (qu'il dirigea de 1830 à 1832), petit journal satirique, à l’opposition la plus vive. D’aucuns on dit que la détestation tenace dont il était l’objet de la part de beaucoup venait assez probablement de cet engagement républicain qu’il avait et qu’on lui reprochait sans le dire.

L'auteur de la camaraderie littéraire  ↑

Depuis le début des années 1820, H. de Latouche, libéral, républicain, et partisan d'un renouveau en littérature, entretient une hostilité contre le cénacleLe cénacle est un lieu de sociabilité, fermé au public, mais formant, dans l'espace public, une entité humaine spécifique pouvant être influente en tant que communauté, c'est un ensemble de personnes partageant des valeurs éthiques et esthétiques communes s'envisageant comme un système que l'on va vouloir exprimer et expliquer.

Il se différencie du salon, comme il y en avait au XVIIIème siècle par exemple, à envisager dans un contexte de mécénat : l'écrivain se rend chez un grand du royaume, par exemple, il lui rend hommage en quelque sorte, il le met en valeur par sa valeur personnelle, et va recevoir en retour rémunération, pension ou autres avantages.
de Victor Hugo, groupement de jeunes écrivains, eux aussi partisans d'un renouveau, romantique, en littérature, mais, généralement, monarchistes et chrétiens. En 1829, il publie dans La Revue de Paris, un article intitulé De la camaraderie littéraire, vrai réquisitoire contre ce cénacle, contre Victor Hugo lui-même et contre Sainte-Beuve notamment.

Réclamant la liberté de la critique comme indispensable à l'accomplissement d'un travail littéraire de valeur, il dénonce, dans cet article, les louanges qui ont court dans le désormais accessoire, puisque les romantiques ont remporté la bataille les opposant aux classiques, cénacle de Victor Hugo, chapelle où chacun se croit l'apôtre d'une nouvelle religion. Louanges et flatteries créent des gloires factices et favorisent malencontreusement l'estime de soi, l'orgueil, tout aliment conduisant à un manque de travail, de conscience, de jugement, et à une faiblesse ou une insuffisance littéraire. Il réclame de la modestie, du travail, de la connaissance, notamment des auteurs du passé, et les preuves d'un talent réel avant de crier au génie, et dit faire ainsi la satire (notamment des lectures semi-publiques, spectaculaires de complaisance partisane, des drames romantiques), à la manière de Molière, des doctes et des pédants, de la pauvreté poétique de certains, du danger que court le grand talent d'autres à ces compromissions, une satire, un pamphlet, à l'avantage d'un développement de la littérature nouvelle qu'il espère et encourage depuis longtemps déjà, dit-il.

La tonalité générale est assez agressive, violemment ironique, vindicative même, semble-t-il, il sera détesté pour ça, et rejeté. Essai manqué par conséquent pour H. de Latouche, car partager une esthétique, soutenir et encourager un mouvement, tout en dénonçant si vivement ses représentants « peut demander des qualités d'équilibriste » qui manquent totalement à Latouche, nous dit Antony GlinoerAnthony Glinoer, La querelle de la camaraderie littéraire, Les romantiques face à leurs contemporains, Droz, 2008.. Et on peut penser qu'il reste amer de ne compter pour rien dans ce mouvement romantique, lui qui s'en serait volontiers envisagé comme le chef de file : « il avait alors [au début des années 1820] l'ambition manifeste de diriger, voire même de régenter, la nouvelle génération poétique qui devait s'élever dans le calme de la monarchie restaurée », dit Paul BonnefonDans La revue d'histoire littéraire, 1919. Déçu, il surréagit en étant féroce, en critiquant, en discréditant.

Reste que, acerbe, mordant, c'était sa manière d'être coutumière : il terminait souvent, dit-on, les conversations les plus agréables, où il excellait, homme du monde en somme, par un trait piquant, acide, caustique, qui désarçonnait et mettait mal à l'aise son interlocuteur. Pour la joie d'un bon mot peut-être (il aimait les jeux de mots, les épigrammes, les sous-entendus, il s'en amusait), ou pour gagner la partie, la conversation comme une partie d'échecs, peut-être aussi pour dire que rien ne comptait vraiment, un désenchantement, une dépression, dire ainsi que toute mondanité n'était que du théâtre, et en tout état de cause, pour décourager l'amour de soi.

Une attitude émanant, plus sûrement encore, et par opposition au commerce du monde, de la très haute idée qu'il se faisait de l'art en général (il était passionné de peinture et de sulpture), de la littérature en particulier pour lui (à l'écriture, « il s'y clouait en martyr » dira Marceline Valmore dans une lettreLettre à Sainte-Beuve du 18 mars 1851 à Sainte-Beuve), littérature qu'il plaçait, très probablement, avant la vie.

Un railleur, détestant la vanité, et demandant à l'apprenti écrivain de désapprendre à vouloir plaire, de ne pas imiter, de travailler, d'être soi-même. George Sand, que H. de Latouche a conseillé à ses débutsAu même moment, H. de Latouche donne aussi des conseils à des amis de George Sand originaires du centre, comme elle et H. de Latouche, le Cher, la Creuse, l'Indre : Jules Sandeau (1810-1889), qui deviendra dramaturge, romancier, bibliothécaire à La Mazarine ; et Félix Pyat (1811-1883) qui, lui, sera avocat, journaliste, écrivain., vers 1830, dans l'articleDans le journal Le Siècle des 18, 19 et 20 juillet 1851. qu'elle écrivit à son propos après sa mort, ne dit pas autre chose. Railleur, certes, mais quand, à partir de là, il ne voyait pas de vanité chez celui ou celle qu'il avait avec lui : « il vous laissait voir enfin un cœur tendre, sensible, plein de dévouement et de générosité. »

Qu'il soit féroce et détestable, ou bien charmant et généreux, l'insaisissable H. de Latouche, avec son article, met tout de même en avant quelque chose de la vérité de ce cénacle. « Les marques textuelles de solidarité n'appartiennent pas aux romantiques », mais elle furent, dans ce groupe, « systématiquement mises à profit », nous dit Antony Glinoer. Mises à profit, aussi bien dans la vie littéraire (par exemple avec la « bataille d'Hernani », le 25 février 1830, quelques mois seulement après l'article), que dans la critique littéraire (Emile Deschamps écrit sur Victor Hugo, Vigny sur Deschamps qui écrit sur Vigny, etc., critique d'ailleurs ne se voulant pas discussion quant à la valeur littéraire des textes, mais interprétation initiatrice), mises à profit enfin avec le texte littéraire lui-même (avec les préfaces et les épigraphes, les écrivains inconnus étant cités sur le même plan que des gloires reconnues.)

Ni Victor Hugo, ni Sainte-Beuve, qui se sentirent effectivement attaqués, ne réagiront publiquement à l'article, qui fit grand bruit, dit Léon SéchéLéon Séché, Le cénacle de Joseph Delorme (1827-1830), Mercure de France, Paris, 1912.

Eugène Scribe, le dramaturge à succès du moment (il fit représenter, durant sa carrière, plus de 400 pièces), reprendra l'idée de cet article, dans une comédie, jouée à la comédie française en 1837, intitulée La camaraderie ou la courte échelle, là aussi satire des cénacles romantiques.
. C'est seulement, deux ans plus tard, en 1831, que Gustave Planche, critique littéraire à ses débuts, donnera comme un coup de grâce à Latouche, par un article qu’il intitule Haine littéraireParu dans La Revue des deux mondes, dans le numéro de novembre-décembre 1831., où H. de Latouche, jamais nommé, y est soupçonné d’avoir paraphrasé, démarqué certains auteurs, y est surtout accusé d’avoir voulu salir et gâter la jeune littérature. Il est renvoyé dans le passé (il était en effet d'une autre génération que tous ces jeunes écrivains), au temps des années 1810 où, alors homme de lettres à succès dans le monde, il était un homme prometteur.

Cet article venant au moment de sa pièce de théâtre, La Reine d'Espagne, drame en cinq actes, qui n'a connu qu'une seule représentation, le 5 novembre 1831, c'était une épreuve pour H. de Latouche qui ne s'en remit peut-être jamais vraiment.

Entre temps le cénacle de Victor Hugo s'est désorganisé. Mais c'est une autre histoire, car il n'apparaît pas que l'article de Latouche en soit le déclencheur, à moins de considérer qu'il ait participé à une prise de conscience de la part de Victor Hugo, qu'il était temps de rompre « avec les clans, avec le ronron des cénacles et des idées reçues », dit Jean Gaudon« Les grandes manœuvres de 1829 », in Cahiers de l'Association internationale des études françaises, 1986, pp. 215-227.
M. Gaudon (1926-2019), professeur, critique littéraire, a consacré toute son travail littéraire à l'œuvre de Victor Hugo.
, estimant que Victor Hugo, écrivain, avec son chemin, « déjà solitaire », dit-il, indépendant, n'a jamais conçu l'idée même d'une camaraderie : « Ce Thabaud, dit de Latouche, n'avait décidément rien compris : Victor Hugo n'a jamais eu de camarades ! » Ce qui est pour nous intéressant ici, c'est le mépris que suscite encore, cent-cinquante après, la personne même de H. de Latouche, renvoyé ici à son incompréhension, quand c'était très certainement, en l'espèce, un homme mal compris, en ce sens qu'il plaidait probablement sincèrement pour la littérature et son renouvellement, mais, dit de cette manière, excessive, il n'avait pas beaucoup de chance d'être entendu.

Enfin, « la querelle de la camaraderie littéraire » ne se résume pas à cet article de H. de Latouche de 1829. Non seulement lui-même en avait parlé auparavant, dès 1824, mais d'autres écrivains vont la dénoncer également au même moment ou après lui, d'autres types de « camaraderies » dans certains cas, des dizaines d'articles seront écrits à ce propos, même par de grands écrivains, tels Balzac, StendhalDans ses Lettres de Paris, publiées de 1822 à 1829 dans le London Magazine et le New Monthly Magazine., ou Sainte-BeuveDans son article de 1839 sur La littérature industrielle.. Autrement dit, non seulement cette critique de la « camaraderie littéraire » dura dans le temps, une quinzaine d'années, mais encore elle ouvre sur les transformations économiques et sociales de ces années qui vont environ de 1820 à 1840.

Et Marceline Desbordes-Valmore  ↑

« Cette affection clairvoyante et courageuse »

Le biographe de Marceline Desbordes-Valmore, Francis Ambrière, situe leur rencontre à l'été 1819, dans l'atelier de Constant Desbordes, et la fin de leur brève histoire d'amour en avril 1821, au moment de son départ à elle pour Lyon où elle suit son mari engagé comme acteur pour la saison théâtrale qui commence : « Ainsi était née, ainsi perdura l'une des passions les plus singulières du siècle, nourrie de part et d'autre par l'absence et la puissance du souvenir. »

A bien des égards elle pensa à lui et l'aima tout au long de sa vie. Lui, en revanche, ne sera plus amoureux, très vite, tout en continuant à lui manifester de l'intérêt. C'est ainsi qu'il va intervenir à plusieurs reprises dans sa vie à elle, et qu'ils continueront à se voir, de loin en loin, jusqu'en 1839.

H. de Latouche est de ces quelques rares personnes qui donnèrent des conseils d'écriture à Marceline Valmore : « Une fois en ma vie, mais pas longtemps, un homme d’un talent immense m’a un peu aimée, jusque-là de me signaler, dans les vers que je commençais à rassembler, des incorrections ou des hardiesses dont je ne me doutais pas. Mais cette affection clairvoyante et courageuse n’a fait que traverser ma vie, envolée de côté et d’autre. » (Lettre à Antoine de Latour, du 7 février 1837).

Il fera bien davantage encore, puisqu'il va s'employer à prendre soin de toutes les étapes de l'édition de 1820 de ses poèmes, édition augmentée, et « qui en impose davantage », nous dit francis Ambrière, de ses poésies parues l'année précédente : outre les recommandations d'ordre stylistique, comme on l'a vu, il discute le contrat avec le libraire-éditeur, veille à la composition du livre lui-même, à son impression, puis cherche à le faire valoir en ouvrant à MDV, qui avait alors, comme comédienne surtout, l'image assez négative de légèreté, les portes de la presse sérieuse. L'intervention de H. de Latouche est ainsi déterminante pour Marceline Valmore : « C'est lui qui a réellement procuré à Marceline ce qu'on peut bien nommer l'existence littéraire », nous dit Francis Ambrière.

Il continuera d'intervenir les années suivantes. En 1825 : Il écrit un article élogieux sur le recueil Ladvocat, et intervient auprès de Mme Récamier pour que soit attibuée une pension littéraire à Marceline Valmore, pension qui lui sera versée d'ailleurs jusqu'à la fin de sa vie. En 1830, il intervient auprès de l'éditeur Auguste Boulland pour une première édition complète de ses œuvres, une double édition dont une luxueuse ; et un article pour en parler

A partir de 1827, alors qu'elle est de passage à Paris et espérait le reconquérir, six après leur rupture, elle s'aperçoit qu'il en courtise une autre. Bouleversée sans doute un moment, mais elle sait qu'il n'avait rien promis, elle découvre simplement la vérité d'un H. de Latouche séducteur et volage.

Dès lors, chez les Valmore, on parlera ouvertement de lui. Il devient même au fil des années un familier de leur foyer, au moins en 1838, 1839, date à laquelle Marceline Valmore comprend non seulement que lui n'éprouve plus le moindre amour pour elle, ni même d'attachement, mais que ce qui le ramène régulièrement chez elle, c'est, non pas elle-même, mais Hyacinthe, dite Ondine, sa fille, dont lui se pense le père, et dont il aurait aimé veiller à développer l'intelligence et le talent.

Marceline Valmore, hors d'elle-même, mais rationelle, met alors tout en œuvre pour l'éloigner d'Ondine, et le chasser de leur vie, n'hésitant pas d'ailleurs, pour convaincre son mari qui apprécie H. de Latouche, à reprendre à son compte tout ce que l'on dit de lui (quelqu'un qui porte le trouble et la désolation partout où il passe, etc.) jusqu'à laisser sous-entendre qu'il cherche à séduire sa fille.

Ils ne se revirent donc plus après 1839, mais douze ans après, au moment du décès de H. de Latouche, elle aura oublié tous ses griefs contre lui, comme en témoigne une lettre intéressante qu'elle écrivit à Sainte-Beuve en mars 1851, lettre intéressant l'histoire littéraire, mais, lettre portrait, aussi, d'un homme idéaliste, intègre, mélancolique pourtant, malheureux de la vie, un homme qu'elle dépeint bien meilleur et généreux et complexe que son image sociale.